Malgré
les dénégations de Mme Cluzel et de Mme Morreale, respectivement secrétaire d’état et ministre en charge des personnes
handicapées en France et en région wallonne, le tri entre les patients
susceptibles d’être pris en charge pour être sauvés du Covid-19 et ceux qui n’auront
droit qu’aux soins palliatifs est d’ores et déjà mis en place et appliqué :
FRANCE :
Extrait
du décret n° 2020-360 du 28 mars 2020 complétant le décret n° 2020-293 du 23 mars
2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie
de covid-19 dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire :
«
II.-Par dérogation à l'article L. 5121-12-1 du code de la santé publique, la
spécialité pharmaceutique Rivotril ®[1]
sous forme injectable peut faire l'objet d'une dispensation, jusqu'au 15
avril 2020, par les pharmacies d'officine en vue de la prise en charge des
patients atteints ou susceptibles d'être atteints par le virus SARS-CoV-2 dont
l'état clinique le justifie sur présentation d'une ordonnance médicale
portant la mention “ Prescription Hors AMM[2]
dans le cadre du covid-19 ”.
«
Lorsqu'il prescrit la spécialité pharmaceutique mentionnée au premier alinéa en
dehors du cadre de leur autorisation de mise sur le marché, le médecin se
conforme aux protocoles exceptionnels et transitoires relatifs, d'une part, à
la prise en charge de la dyspnée et, d'autre part, à la prise en charge palliative
de la détresse respiratoire, établis par la société française
d'accompagnement et de soins palliatifs et mis en ligne sur son site. »
En
clair, il s’agit d’endormir ceux qu’on ne veut pas soigner du Covid-19 :
patients âgés, handicapés, malades chroniques… Les seuils d’âge, handicap, maladie,
sont laissés à l’appréciation du médecin.
Recommandations
de la Société de réanimation de langue française sur la décision d’admission
des patients en unités de réanimation et unités de soins critiques dans un
contexte d’épidémie à Covid-19. :
Elles
insistent sur divers axes de la loi Leonetti (dont notamment l’état neuro-cognitif)
mais précisent que : « Dans ce contexte, ces principes
décisionnels s’appliquent aussi bien aux patients COVID qu’aux patients
non-COVID. Les données cliniques et de contexte pris en compte ne sont pas
spécifiques aux patients COVID (comme âge, fragilité, comorbidités…), mais
leur poids sur la nature de la décision prise pourrait l’être selon les
situations. »
Elles
induisent donc un changement d’interprétation de la loi Leonetti en raison du
contexte Covid-19.
BELGIQUE :
Extrait
d’un article de Sudinfo réservé aux abonnés :
« Un
directeur d’établissement pour personnes en situation de handicap a récemment
reçu un coup de fil de l’hôpital où l’un de ses résidents atteint de Covid-19,
était soigné depuis 10 jours. Un monsieur de 55 ans, porteur de la trisomie 21.
« Au bout du fil, on m’a indiqué que notre résident n’était pas prioritaire.
Qu’il était en fin de vie. On nous demandait quelle était la position de la
famille par rapport à l’acharnement thérapeutique. Suite à ce coup de fil pour
le moins abrupt, voire caricatural, j’ai sollicité d’autres infos auprès de l’hôpital
en question. On m’a alors expliqué que des critères médicaux entraient en ligne
de compte. Des critères que je pouvais cette fois, mieux comprendre.
Il
n’empêche, je suis à 100 % sur la même longueur d’onde que Monsieur Huet,
président de l’Association Belge contre les Maladies neuro-Musculaires [ABMM], lorsqu’il déclare que les critères du
handicap et/ou de l’âge, ne peuvent être considérés en tant que tels comme
facteurs d’exclusion des soins. C’est démocratiquement et humainement
inadmissible. Idem pour le présupposé de l’espérance de vie.
Certes, et
statistiquement parlant, une personne porteuse de trisomie affiche une
espérance de vie moindre que le commun des mortels. Mais je peux témoigner de
pensionnaires âgés de 70 à 80 ans qui vivent très bien.»
Extrait
de l’autre article de Sudinfo avec l’interview de Jean-Marie Huet :
« Le
sujet du tri des patients est hyper touchy. Mais il est indispensable de
(re)discuter des critères retenus jusqu’à présent par le Conseil d’Éthique de la société belge de
médecine intensive » estime le Louviérois. « En élargissant cette réflexion,
non seulement aux patients âgés, mais aussi à ceux qui sont porteurs d’un
handicap et/ou qui se soignent pour des maladies chroniques. » (…)
Jean-Marie
Huet revient sur les critères qui président au tri des patients atteints du
covid-19 :
1) La
situation médicale du patient. « Ce
critère présuppose que les personnes atteintes de maladies chroniques,
présentant des pathologies diverses, seraient moins à même de survivre,
statistiquement parlant, qu’une personne en bonne situation médicale.
Là où le
bât blesse, c’est que la présence d’un handicap risque d’être interprétée
également comme une mauvaise situation médicale en soi. Ce n’est pas exact.
Mais je peux, à titre personnel, témoigner de préjugés tenaces, y compris de la
part du monde médical. Beaucoup pensent qu’une issue fatale constitue même un
soulagement pour une personne handicapée. Mais le goût et la qualité de la vie
ne se résument pas au nombre de vos chromosomes. À l’usage de vos jambes… ».
2) Le
critère de l’âge. À situation
médicale égale, l’âge du patient est déterminant : le patient le plus jeune
sera privilégié, compte tenu du critère de l’espérance de vie… « Mais ce
critère est-il aussi logique et objectif qu’il apparaît à première vue ? »
interroge Jean-Marie Huet. « Le jeunisme n’est-il pas d’abord motivé par une
question de coûts ? Attention aux dérives. »
3) Le
critère du « premier rentré, premier servi ». Soit un critère aléatoire mais plus juste. En cas
d’arrivée au même moment de deux patients atteints, on utiliserait le dernier
critère.
4) Le
dernier critère serait le tirage au sort, en cas d’afflux important en même temps.
Pour
sa part, Jean-Marie Huet se range clairement derrière l’avis
du Conseil National de la Personne Handicapée (CSNPH) qui estime que « le texte
du Conseil d’Éthique de la société belge de médecine intensive laisse encore
beaucoup trop d’interprétations possibles. Qu’il doit être clarifié pour lever
les incertitudes liées au statut de personne handicapée et au respect de
l’expression de la volonté de celle-ci. »
Pour
notre interlocuteur, c’est la déclaration de l’ONU qui doit rester en
permanence à l’esprit de ceux qui décideront : « Aucune exception avec le
Covid-19 », disent les experts de l’ONU : « Tout être humain a droit à une
assistance médicale lorsque son pronostic vital est engagé. »
Même
si l’on sait que dans les faits, certaines décisions difficiles devront quand
même être prises… »
Mon
avis : plus qu’une annonce franche, ce sont des ajustements
de législation et des modulations d’interprétation de la législation (en laissant
aux médecins la responsabilité de choix terribles) qui constituent le danger. Et
l’on voit que les décisions ont été prises dans un hôpital sans contexte de
saturation (le monsieur de 55 ans). Ces personnes fragiles n’ont pas fini de
payer les réformes successives de la santé publique, et, plus près de nous, la
mise en œuvre tardive des mesures visant à enrayer l’épidémie.
Il
faudra viser à expliciter plus les mesures en travaillant en collaboration avec
les associations, sous peine que notre société perde le peu d’âme qui lui
reste.
Edit :
devant les nombreuses questions et interprétations de mon article, je tiens à expliquer
que le décret de dérogation de délivrance du Rivotril pour soins palliatifs
(donc on renonce à guérir et on accompagne la mort) fait que les médecins hors
hôpital pourront l’administrer sans la concertation ni le support ni la
surveillance continue d’une équipe hospitalière. Cela évite une hospitalisation
et donc autant de chiffres en baisse pour la réanimation, et la
comptabilisation des décès. Cela pose aussi le problème des critères de choix
pour la non-orientation en hôpital (âge, santé, handicap) qui reposera principalement
sur un médecin. De plus, la question se pose de savoir comment le Rivotril va
être administré, sur quelle durée, etc. Même en délégant à du personnel infirmier :
pas tous les établissements disposent d’infirmiers en permanence et encore
moins à domicile. Comment en temps réel baisser, monter la dose, selon les
besoins ?
Les démentis du gouvernement font aussi l’impasse sur les dépassements
de dose non létale des anesthésiants en soins palliatifs lorsque cette dose ne
suffit plus. Le but n’étant pas d’euthanasier, mais de soulager la personne. Mais,
dans les faits…
Autre aspect : ce décret est un ajout à la loi d’urgence sanitaire,
que les députés et sénateurs ont voté sans moufter et dont on n’a jamais entendu
parler, alors que les média n’ont jamais été avares d’informations sur la loi
elle-même.
Cela pose beaucoup de questions sur la liberté de l’information. Et que l’élargissement
de la loi Leonetti et de son interprétation se soient faites sans consultation
de la société civile en pose d’autres sur le respect des Droits de l’Homme par
la France.
Lire
la réaction des pharmaciens.
[2] Le «
hors-AMM » est une prescription pour d’autres indications que celles pour
lesquelles le médicament a reçu son autorisation de mise sur le marché.
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