Dans un billet, le « Dr
BB » revient sur l’interview d’Hugo Horiot sur France Culture du 10 octobre dernier, à propos du film « Hors
Normes » et de l’autisme en France.
Pour peu que vous soyez un
tant soit peu sensé et connaissiez l’autisme, vous avez dû sursauter plusieurs
fois en entendant celui qui se dit lui-même imposteur débiter un flot d’assertions
qui m’ont laissée pantoise… Mais comment les journalistes peuvent encore
accorder du crédit à ses paroles ? N’y a-t-il personne d’autre à
interroger en France, que ces stars auto-proclamées, auto-diagnostiquées de l’autisme,
qui prétendent que nos enfants sont tous des petits génies qui n’ont qu’à
envoyer leur CV à Silicon Valley pour résoudre les problèmes, non seulement de
l’autisme, mais du monde entier ? Comment peut-on, même en n’étant pas
personnellement touché par l’autisme, laisser dire tant de bêtises, sans
contradiction possible ?
Hugo Horiot réussit le miracle
à faire paraître plein de bon sens le Dr BB, psychiatre d'orientation psychanalyste, et à me mettre d’accord
avec lui sur pas mal de passages de son billet, c’est dire ! Il offre donc
un boulevard pour la défense de la psychanalyse pour l’autisme…
Quelques extraits percutants
que je vous livre ici :
Parfois, on ressent fortement le besoin de réagir à certains propos
proférés en toute impunité, avec la complicité déroutante d’instances
médiatiques de référence. Ainsi, j’ai été assez interloqué à l’écoute de la
matinale de France Culture du 18 octobre dernier, au cours de laquelle était
interviewé l’écrivain et comédien Hugo Horiot, militant pour la dignité des
personnes autistes. A cette occasion, l’invité de la matinale revendiquait son
statut d’autiste diagnostiqué précocement mais ayant échappé à la «
psychiatrisation », alors que les médecins qu'il avait rencontrés à l’âge de
2-3ans lui auraient prévu un aller simple en hôpital psychiatrique. Né Julien
Horiot, il a changé de prénom à 6 ans pour « tuer en lui le dictateur », ce
qu’il a rapporté dans un essai autobiographique intitulé « L’empereur, c’est
moi ».
Actuellement, Hugo Horiot poursuit sa carrière d’écrivain, en axant
sa production littéraire sur la dénonciation des stigmatisations à l’égard de
la différence cognitive ou de la pathologisation de la différence (« Autisme :
j’accuse ! »). A ce titre, il est régulièrement consulté en tant qu’expert sur
la question par les institutions européennes, mais n’a pas souhaité participer
à l’élaboration du 4ème plan autisme, en raison de la présence du « lobby
psychiatrique » et du « lobby médico-social ». De fait, Hugo Horiot demande
explicitement que l’intégralité des fonds alloués à l'institutionnalisation des
autistes en France soit réaffectée pour qu’enfin la France puisse exploiter
(sic) ces intelligences divergentes.
Effectivement, durant toute l’émission, l’invité de Guillaume Erner
a revendiqué la fermeture de toutes les institutions accueillant des personnes
autistes, arguant du fait « qu’il n’a a pas de bonne institution », et qu’il
faut donc libérer ces enfants retenus captifs entre les murs de structures
cherchant à préserver une manne financière. Un seul mot d’ordre donc :
l’inclusion et la scolarisation pour tous - l’école n’étant visiblement pas une
institution et n’ayant pas non plus de murs…
Lorsque le journaliste questionnait son invité sur sa représentation
de l’autisme, celui-ci présenta des conceptions à la fois très vagues, et
néanmoins assénées comme une vérité intangible. Dans une perspective
historique, Hugo Horiot évoquait la découverte de l’autisme par Eugen Bleuler
en 1911 – je rappellerais simplement que le psychiatre suisse utilisait alors
ce néologisme pour décrire certains regroupements symptomatiques dans le cadre
de sa description princeps de la schizophrénie ; il faudra effectivement
attendre 1943 pour que Léo Kanner décrive le tableau clinique de l’autisme
infantile précoce. Voici les caractéristiques de l’autisme que rapportaient
Hugo Horiot : une association d’hyper et d’hyposensibilité et des intérêts
restreints avec des pics de compétence très élevés dans certains domaines. En
lien avec son propre parcours, Hugo Horiot a beaucoup insisté sur le fait qu’il
n’y avait pas de retard de langage, mais une émergence différée de la parole.
Toute évocation d’une éventuelle souffrance était aussitôt évacuée, et
appréhendée uniquement comme la résultante d’une forme de racisme cognitif et
d’un traitement ségrégatif imposé à cette population. Pour ce militant, les
notions d’ « autisme sévère » ou d' « autisme léger »sont tout simplement
inexactes et préjudiciables. Parlant de son propre vécu de l’autisme, Hugo
Horiot évoquait, en toute modestie, ses capacités hors-normes, en termes de
concentration, de capacités à faire des liens, ou de performances mnésiques.
[…]
Dès lors, on comprend qu’Hugo Horiot puisse comparer, sans frémir,
la politique française à l’égard du handicap et de l’autisme aux programmes
eugéniques du IIIe Reich….Lors de l’émission, le journaliste Guillaume Erner ne
sembla d’ailleurs pas particulièrement choqué face à ce genre d’allégations,
qu’il ne chercha pas à remettre en cause…Certes, notre système de santé a mis
en place un dépistage anténatal facultatif de la trisomie 21, et l’éventualité
d’une interruption thérapeutique de grossesse est proposée aux parents, en cas
de diagnostic positif. Cela peut effectivement soulever certains
questionnements éthiques. Néanmoins, il n’y a pas là de programme politique d’éradication,
même si les structures d’accompagnement sont insuffisantes. De surcroit, la
situation de l’autisme est absolument incomparable, compte-tenu non seulement
des enjeux génétiques spécifiques que nous aborderons ultérieurement mais aussi
des aspects proprement cliniques.
En entendant ce type de propagande, à une heure de grande écoute,
sur une radio publique, sans qu’aucun contradicteur sérieux ne puisse opposer
certains éléments de réalité, j’étais assez abasourdi.
En tout cas, en s’en tenant strictement au contenu discursif de cet
entretien, un certain nombre de réflexions à l’emporte-pièce– et d’affects- ont
pu m’envahir. En toute humilité, je souhaiterais pouvoir partager ces
ressentis, même s’ils ne sont pas politiquement corrects. Par ailleurs, il m’a
semblé important de pouvoir développer certains points effleurés à la hussarde,
afin de ramener des faits, au-delà de revendications militantes hors-sol et
déconnectées des enjeux de réalité.
Pourquoi Guillaume Erner n’a-t-il pas fait son travail de
journaliste, en adhérant de plain-pied à des propos idéologiques ? Pourquoi
aucun soignant prenant en charge au quotidien des enfants autistes n’a-t-il été
convié sur l’antenne de France Culture, de façon à pouvoir éventuellement faire
entendre des points de vue complémentaires, divergents, voire contradictoires ?
Car il faut savoir que la deuxième partie de l’émission était consacrée au film
« Hors-normes » d'Eric Toledano et Olivier Nakache, constituant d’après Hugo
Horiot une « peinture très crue de la dérive institutionnelle dans la prise en
charge de l'autisme, à laquelle nous sommes confrontés en France depuis les
années 60 ». Ce long métrage montrerait donc que, « même avec des associations
qui leur viennent en aide, et donc avec des personnes de bonne volonté qui sont
là pour palier une déficience de notre éducation nationale » - contrairement
aux soignants qui sont surement mal intentionnés – « on tombe dans une impasse,
liée à une forte exclusion sociale de ces profils ».
Je formule une hypothèse : le journaliste des matins de France
Culture était pétrifié, car il craignait d’être accusé, d’une façon ou d’une
autre, d’intolérance voire d’ « autismophobie » - mais peut-être que, tout
simplement, Guillaume Erner pense qu’il existe des similitudes effectives entre
la politique nazie d’épuration des handicapés et notre contexte français
contemporain…
Voilà le fond de ma pensée : ne pas s’autoriser à contredire un
interlocuteur, parce qu’il serait autiste, ou juif, ou homosexuel, ou victime
de toute forme d’oppression ou de stigmatisation, consisterait à adopter une
posture paternaliste et condescendante, proche d’une forme de racisme en
négatif. A partir du moment où l’on reconnait l’entière responsabilité
discursive de la personne avec laquelle on interagit, il convient effectivement
de s’autoriser à exercer son esprit critique, au nom justement du refus de
toute discrimination. Evidemment, les choses seraient un peu différentes avec
une personne appréhendée comme partiellement irresponsable, comme un enfant ou
un individu présentant une déficience mentale ; dans cette situation, un devoir
de réserve s’imposerait de soi.
[…]
Mr Horiot nous prouve d’ailleurs qu’on peut se revendiquer autiste,
tout en n’exprimant aucune plainte fonctionnelle, et en mettant surtout en
avant des surcapacités. Et, si l’on veut être tout à fait honnête, en
l’écoutant sur France Culture, j’étais surtout exaspéré par une certaine
dimension narcissique dans la présentation de sa personne, par ce qui
m’apparaissait comme une fausseté du raisonnement, et par des tendances
sensitives exacerbées. Il parait évident qu'une personne « autiste » qui ne
présenterait aucune trouble dans sa vie sociale et le déploiement de son
autonomie n'aura absolument pas besoin d’accompagnement ni de soins. Cependant,
il devra se confronter au médecin dans le cadre du diagnostic. Mais alors,
pourquoi vouloir diagnostiquer dans ce cas ? Pourquoi revendiquer ce statut
plutôt que celui de sujet singulier, avec ses particularités de fonctionnement,
ses qualités, ses compétences, ses fragilités et ses défauts ? Quel est le sens
de cette recherche de catégorisation nosographique ?
Il ne s’agit pas de nier la neurodiversité, au contraire. Chaque
personne est absolument singulière, et cette singularité s’inscrit à l’évidence
dans les particularités de son fonctionnement cérébral. Certains sont peut-être
plus différents que d’autres, et tant mieux. Mais convient-il subséquemment
d’essentialiser cette « différence », et secondairement imposer à tous ceux qui
seraient catégorisés de la sorte une façon univoque de vivre son « autisme » ?
Il faut dire que, pour la plupart des autistes militants de la
neurodiversité, la reconnaissance de leur statut d'opprimé leur apporte une
certaine reconnaissance médiatique, la certitude d'être appréhendé en tant que
victime racisée subissant un authentique préjudice social, le bénéfice d’une
posture héroïque de justicier à peu de frais, une certaine intouchabilité (qui
prendrait le risque d'être taxé d'autistophobe?), voire un véritable fonds de
commerce.
Joseph Schovanec, évoquant le triste destin des militants dans
l’autisme, rappelle d’ailleurs les dérives de certains, « fascinés par
l'argent, le pouvoir et leur nouveau statut social » et le fait que « désormais
les autistes militants se haïssent entre eux avec la constitution de clans qui
n'ont d'autre objet que de détruire ou évincer l'autre ». Les autistes
seraient-ils donc des êtres humains comme les autres, happés par les mêmes
passions tristes, la même volonté de puissance, et les mêmes enjeux
narcissiques que les « neurotypiques » ?
On peut penser en tout cas que certains militants de la cause
autiste sont mus par une animosité assez débordante, voire par une haine
authentique, à l’égard du soin au sens large. En témoignent ces quelques
citations extraites du blog tenu par Hugo Horiot sur Mediapart.
« La psychanalyse, c’est comme une partouze. Elle doit se pratiquer
entre adultes consentants, sinon ça devient dangereux. Pour l’enfance en
général et les enfants autistes en particulier, les théories d’inspiration
psychanalytique mènent à des dérives tragiques et fatales : packing, placements
abusifs, psychiatrisation, culpabilisation des parents… ».
A nouveau, des accusations qui mobilisent des fantasmes très crus,
sans jamais prendre en compte la réalité des pratiques…Toujours les mêmes
ritournelles, méprisantes à l’égard tant des soignants que des patients pris en
charge.
« Il s’agit également de réaffecter l’orgie de moyens, 3 milliards
d’euros annuels alloués aux Hôpitaux de jour (source Ministère de la santé)
pour tenir enfermés 10 000 enfants, vers des établissements médicaux sociaux
adaptés mais surtout vers l’école de la République ».
Les hospitaliers mobilisés afin d’obtenir des moyens adaptés pour
garantir des soins décents apprécieront – ainsi d’ailleurs que les enseignants…
Le véritable scandale actuel ne serait donc pas la proportion affligeante
d’enfants laissés sans prise en charge, ou mal accompagnés, avec un impact tout
à fait préjudiciable pour leur devenir, mais le gâchis induit par les dépenses
publiques en faveur des institutions thérapeutiques….Affirmer un autre point de
vue ne serait qu’esbroufe, manipulation et mensonge car, pour Hugo Horiot, « ce
type d’affirmation vise à maintenir un mythe, une croyance pour préserver un
juteux marché, au mieux de l’assistanat et au pire de l’exclusion, financé par
de l’argent public ». Bigre… « Les autistes ne souffrent pas d’autisme.
L’autisme souffre de l’ignorance des uns et de l’opportunisme mercantile des
autres ». Mais bien sûr ! Il fallait y penser : tous ces enfants sans langage,
enfermés dans leurs stéréotypies, pouvant se mettre en danger du fait de
l’intensité de leurs comportements auto-agressifs et présentant des crises
d’angoisse massives au moindre changement dans leur environnement, ne
bénéficient de soins institutionnels que pour enrichir les soignants du service
public. Quel aveuglement : « un autiste visible et non verbal sera considéré
comme déficient mental alors qu’il s’agira souvent d’une déficience sociale
engendrant une apparente déficience mentale ». Pourquoi donc passons-nous à
côté de ses potentiels exceptionnels, à exploiter et à valoriser comme un
réservoir de compétences hors normes ? Soyons utilitaristes avant d’être
humanistes, sinon « notre pays ne sortira jamais du communautarisme, de
l’assistanat de masse et du chômage ». Le vieil adage socialiste « De chacun
selon ses moyens, à chacun selon ses besoins », doit effectivement être battu
en brèche selon notre apôtre de la justice social : il faut avant tout
exploiter, tirer profit, avec pragmatisme. Et, de surcroit, la fermeture des
tous ces établissements ségrégatifs voire maltraitants et l’entrée des autistes
sur le marché concurrentiel du travail résoudra les problèmes sociaux de
chômage, d’endettement public, d’inégalités sociales, de discrimination, de
performance et de compétitivité ! A bon entendeur…
Il ne sera pas inutile de revenir sur certaines de ces allégations
à l’occasion d’un prochain billet, pour ramener un peu de réalité au sein de ce
déluge d’acrimonie délirante….
Ce qui parait en tout cas particulièrement problématique, c’est le
relais médiatique dont bénéficie cet « expert » et l’influence qu’il revendique
pouvoir exercer, notamment auprès des instances européennes. […]
Il est ainsi intéressant de constater à quel point ces discours
peuvent infuser insidieusement dans les représentations collectives, du fait
notamment de leur omniprésence médiatique.
Dans cette optique, revenons donc sur le film « Hors-normes »
d'Eric Toledano et Olivier Nakache, auquel la deuxième partie de la matinale de
France Culture était consacrée. Ce long métrage présente le travail associatif
d’éducateurs accompagnant des personnes autistes insuffisamment prises en
charge par ailleurs. Le projet de montrer à l’écran ces situations complexes et
douloureuses parait en soi tout à fait louable, même si les écueils sont
nombreux (caricature, instrumentalisation idéologique, narration positive
évacuant les aspects réellement problématiques, etc.). Stéphane Benhamou, le
fondateur de l’association le Silence des Justes, campé à l’écran par Vincent
Cassel, s’exprime ainsi concernant son action : « Nous avons comblé les
manques, nous nous sommes infiltrés dans les interstices du système pour
pallier les carences d’un pouvoir politique qui accorde trop peu de moyens ».
D’emblée, nous nous situons donc dans une forme de dénonciation de
l’insuffisances actuelle des dispositifs mis en œuvre, ce qui parait
indubitablement légitime. Cependant, le « modèle » proposé devrait nous
interpeller : en effet, il s’agit manifestement de promouvoir des initiatives
individuelles, menées par des personnes qui, indépendamment de leur bonne
volonté, n’ont aucune formation. Au-delà des bons sentiments, on sait bien que
de telles modalités d’intervention peuvent être très périlleuses, avec
notamment un risque non négligeable de négligences, de préjudice en termes de
pronostic, voire de maltraitance…Il parait évident que la compétence
intrinsèque des intervenants, leur personnalité, leur motivation et leur
implication constituent des éléments déterminants dans la qualité d’un
accompagnement – et le film souligne d’ailleurs à juste titre l’importance du
facteur humain et de l’investissement relationnel. Cependant, c’est une
condition qui peut être nécessaire, mais surement pas suffisante ; certaines
aptitudes ne s’improvisent pas et nécessitent un apprentissage rigoureux, tant
sur le plan pratique que théorique, une supervision par des tiers, etc. De
surcroit, le travail thérapeutique suppose toujours une forme d’organisation
institutionnelle, des références collectives, des normes éthiques, des abords
pluridisciplinaires, des évaluations de pratique… […]
J’étais donc un peu atterré à l’écoute de cette émission de France
Culture, qui consistait finalement à valider des discours superficiels,
caricaturaux et réducteurs, en adhérant de plain-pied avec l’air du temps. Car,
au-delà de la dénonciation militante, de la bien pensance et des bons
sentiments, il convient sans doute de saisir ce que ce type de discours cherche
à ébranler, inlassablement.
[…]
Moi aussi, je suis atterrée.
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