L’ECHO - 28 janvier 2014, p. 13
La
psychothérapie en Belgique
n’en
a pas fini avec le charlatanisme
Jacques Van Rillaer
Professeur
émérite de psychologie à l’UCL
Ce 15 janvier, la commission
« Santé » de la Chambre a approuvé une proposition de loi réservant
le titre de psychologue clinicien aux psychologues formés à l’université. Elle
a également défini l’habilitation pour des « actes
psychothérapeutiques ». Ces derniers seront réservés à ceux qui auront
suivi une formation spécialisée, après des études de psychiatrie ou de
psychologie clinique ou encore d’un bac de type social, médical ou
éducationnel.
Pour la 3e catégorie, une mise à niveau en un an sera
exigée. Ce cursus-là n’est pas du goût de ceux des deux premières catégories,
qui craignent un manque de formation à la pensée scientifique et une moindre
compétence. Les arrêtés d’exécution doivent être précisés et donneront lieu à bien
des débats.
Un député a
déclaré en ce jour : « La réforme offrira au patient une sécurité
équivalente à celle pour la santé physique. On sort de la logique des
charlatans ». C’est assez naïf. D’une part, des « psys » pourront
continuer à pratiquer avec des titres comme psychanalyste, analyste jungien,
gestalt-thérapeute, coach, hypnothérapeute, praticien EMDR, etc. D’autre part, le
diplôme universitaire n’offre qu’une garantie de formation et non d’honnêteté.
Or le soin psychologique est un domaine où le charlatanisme est
particulièrement facile.
Déjà au XIXe siècle, au moment où la
psychothérapie commençait à devenir une profession, Pierre Janet et puis Freud soulignaient
l'attachement infantile et la crédulité de nombre de patients à l'égard des
thérapeutes. Toute personne qui recourt aux services d’un psy, même diplômé,
devrait rester vigilante. A ce propos on peut se réjouir que la loi cadre
reconnaît plusieurs grands courants de psychothérapie : cela invite le
patient à changer de courant lorsqu’il stagne ou va plus mal.
Un type de
charlatanisme qui menace les candidats au titre légal de psychothérapeute est
l’exploitation de l’exigence — certes souhaitable — d’une formation personnelle.
Le concept d’analyse didactique a été imaginé par Jung en 1912, dans l’espoir de
dépasser les conflits des interprétations entre psychanalystes (conflits qui
mèneront néanmoins à nombre d’Écoles rivales). Quelques années plus tard, Freud
délaissait largement la thérapie au profit de cette activité fort rentable et
beaucoup plus facile, et d’autant plus volontiers que sa méthode avait très peu
d’effets curatifs (voir de Borch-Jacobsen : Les patients de Freud, éd. Sciences Humaines, 2011).
Lacan a ensuite
développé un véritable commerce des didactiques, « psychanalysant » quotidiennement des dizaines de
candidats, qui se trouvaient à sa merci pour être reconnus analystes. L’Association
internationale de Psychanalyse, après l’avoir plusieurs fois mis en garde, n’a
plus reconnu les analystes qu’il « formait ». C’est la raison pour
laquelle il a fondé sa propre École en 1964. Ensuite ses séances de didactique,
payées au prix fort, duraient cinq minutes ou moins encore, ce qui lui a permis
de devenir richissime. On voit où cela peut mener.
Il est heureux que
certaines associations lacaniennes ne revendiquent pas le titre de
« psychothérapeute » et adhèrent à la déclaration de Jacques-Alain
Miller, principal successeur de Lacan : « Nulle part au monde il n’y
a de diplôme de psychanalyste. Et non pas par hasard, ou par inadvertance, mais
pour des raisons qui tiennent à l’essence de la psychanalyse ».