Nous
sommes retournés plusieurs fois à l’hôpital, pour toutes sortes de tests :
QI, langage, IRM, prise de sang…
À
ses 4 ans et 5 mois, le QI de performance était bon, 110, (mais on ne pouvait
pas bien l’évaluer, d’une part car son comportement ne le permettait pas,
d’autre part parce que les tests étaient traduits du néerlandais en français,
langue que nous utilisions à la maison). Même si Wolfgang était très peu verbal
(son niveau de langage à 4 ans et demi était celui d’un enfant de 18 mois) il
avait l’habitude d’entendre parler français, aussi les consignes pour les tests
lui étaient dispensées en cette langue.
À
l’âge de 3 ans, mis à part un babillage incompréhensible, son (presque) unique
mot était « Godzilla » ; il était obsédé par le film dont
j’avais dû limiter son visionnage à une
séance quotidienne, et voyait « Godzilla » partout, dans tout ce qui
était vert, tout ce qui évoquait, même de très loin, la forme d’une écaille ou
d’un reptile…
Un
peu plus tard, il appelait toutes les femmes de ma tranche d’âge « Maman ».
Je pense que, dans « l’autre dimension » où il vivait, il n’avait pas
conscience que j’étais sa mère et croyait que c’était ainsi qu’on dénommait les
femmes de mon âge…
Par
ailleurs, il montrait des facultés étonnantes : il effectuait depuis
longtemps des puzzles compliqués pour son âge, et dans des laps de temps très
courts. Il avait même appris à lire tout seul, avec un alphabet électronique
que lui avaient offert mes parents pour ses 3 ans. Il avait appris les lettres
et à les assembler en syllabes puis en mots, ce qui était insolite pour un
enfant qui ne parlait pratiquement pas : il savait lire. Tout bébé, il aimait tenir un livre en mains et le
regarder, tous les jours avant de s’endormir dans son lit, d’ailleurs cette
habitude ne l’a pratiquement jamais quitté. Cependant, la lecture des lettres
fut un acquis qu’il ne conserva pas, vers les 5 ans il connut une période où cela
ne l’intéressait plus et il l’oublia alors.
Outre
les émissions de « C’est pas sorcier », il adorait tout ce qui était
documentaire, la chaîne « National Geographic » et les livres qui
parlaient des mêmes sujets… en plus de « Godzilla ».
Wolfgang
faisait preuve d’une mémoire phénoménale pour les choses qui l’intéressaient,
par exemple il pouvait se souvenir un an plus tard du tiroir où j’avais mis un
objet qu’il voulait… alors qu’il ne l’avait vu qu’une seule fois.
On
sentait qu’il était intelligent, mais très limité par son handicap. Au bout de
plusieurs visites à l’hôpital, le diagnostic fut affiné : c’était bien le
syndrome d’Asperger. Mon mari n’ayant
jamais entendu parler de ce mot, il fit des recherches sur Internet et reçut un
choc : dans la description des personnes atteintes, il se retrouvait… Ce
qui ne m’étonna guère. Mon mari n’avait pas d’amis, peu de relations sociales
autres que professionnelles (et il avait
dû adapter son comportement à son entourage professionnel lorsqu’il avait commencé sa
carrière), il était ordonné, avait une mémoire photographique et un don
pour les chiffres : il savait repérer en un coup d’œil une erreur dans une page
remplie de nombres.
La
neuro-pédiatre nous dit que nous avions le choix : soit inscrire notre
fils dans l’enseignement spécialisé, soit dans un hôpital de jour, mais de
préférence dans sa langue maternelle le français car le fait qu’on utilisait le
néerlandais à l’école aggravait son cas d’enfant très peu verbal. Nous nous
décidâmes pour l’enseignement spécialisé. Je suis française d’origine et
j’avais pu constater la régression d’enfants que je connaissais pendant leur
accueil en hôpital de jour, où sont placés
beaucoup d’enfants en situation de handicap en France, surtout ceux avec un trouble autistique. Il était hors de question que notre fils mette
un pied dans un de ces établissements.
En
cherchant une école qui lui convienne, nous avons constaté que la province du
Hainaut présentait une offre assez dense en enseignement spécialisé. Nous avons
donc choisi de nous y installer et d’inscrire Wolfgang pour la rentrée de
janvier 2006. En attendant Wolfgang refusa carrément, en piquant une crise, de
continuer à aller à son école habituelle. Il resta alors à la maison. De toute
manière, il avait seulement appris à l’école à enfiler son manteau : c’était
bien peu en deux années.
Lorsque
je lui avais communiqué le résultat du QI de performance de Wolfgang,
l’institutrice qui laissait Wolfgang dans un coin à part de la classe changea
d’attitude envers lui, mais c’était un peu trop tard : il était trop
malheureux pour continuer ici.
Janvier 2006. Wolfgang fait son
entrée à l’école spécialisée, dans la classe de Mme Muriel, qui
avait suivi une formation à l’autisme en cours de carrière à l’Université de
Mons. À Pâques de la même année,
Wolfgang était propre, parlait couramment et mangeait des aliments solides.
J’avais
établi un tableau sur feuille volante pour tous les jours de la semaine :
lorsque Wolfgang allait aux toilettes, lorsqu’il mangeait sa viande, lorsqu’il
mangeait ses légumes (il restait à la cantine), son institutrice mettait une
croix sur le tableau, que je reportais le soir à la maison sur une ardoise effaçable : au bout de 10 croix,
il avait droit à tirer un sujet Pokémon au distributeur du supermarché.
Nous
le voyions effectuer des progrès à une vitesse incroyable, mais toujours par
grands paliers brusques, non pas de manière linéaire. Dès qu’il se mit à parler
couramment, ce fut avec un vocabulaire compliqué, semblable aux documentaires
dont il raffolait, mais avec les mots utilisés à bon escient dans le contexte :
il les avait donc bien assimilés. Il faisait cependant nombre d’erreurs
grossières dans la syntaxe et dans l’emploi des pronoms, mais nous les reprenions. Aussi, à la maison
et à l’école nous étions tous attentifs à lui faire croiser notre regard, à communiquer,
effectuer les politesses d’usage (bonjour, s’il vous plaît, merci, au revoir…).
L’épreuve
de l’incompréhension des gens qui ne le connaissaient pas, devant son
comportement qu’ils prenaient pour des caprices dus à une mauvaise éducation, subir
leur réprobation souvent silencieuse mais éloquente, devenait de plus en plus
rare à chaque sortie…
Sous
nos yeux, nous voyions naître notre enfant une seconde fois.
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