mardi 26 novembre 2019

Star de l’autisme ou « idiot utile » pour la psychanalyse ?


Dans un billet, le « Dr BB » revient sur l’interview d’Hugo Horiot sur France Culture du 10 octobre dernier, à propos du film « Hors Normes » et de l’autisme en France.

Pour peu que vous soyez un tant soit peu sensé et connaissiez l’autisme, vous avez dû sursauter plusieurs fois en entendant celui qui se dit lui-même imposteur débiter un flot d’assertions qui m’ont laissée pantoise… Mais comment les journalistes peuvent encore accorder du crédit à ses paroles ? N’y a-t-il personne d’autre à interroger en France, que ces stars auto-proclamées, auto-diagnostiquées de l’autisme, qui prétendent que nos enfants sont tous des petits génies qui n’ont qu’à envoyer leur CV à Silicon Valley pour résoudre les problèmes, non seulement de l’autisme, mais du monde entier ? Comment peut-on, même en n’étant pas personnellement touché par l’autisme, laisser dire tant de bêtises, sans contradiction possible ?

Hugo Horiot réussit le miracle à faire paraître plein de bon sens le Dr BB, psychiatre d'orientation psychanalyste, et à me mettre d’accord avec lui sur pas mal de passages de son billet, c’est dire ! Il offre donc un boulevard pour la défense de la psychanalyse pour l’autisme…



Quelques extraits percutants que je vous livre ici :

Parfois, on ressent fortement le besoin de réagir à certains propos proférés en toute impunité, avec la complicité déroutante d’instances médiatiques de référence. Ainsi, j’ai été assez interloqué à l’écoute de la matinale de France Culture du 18 octobre dernier, au cours de laquelle était interviewé l’écrivain et comédien Hugo Horiot, militant pour la dignité des personnes autistes. A cette occasion, l’invité de la matinale revendiquait son statut d’autiste diagnostiqué précocement mais ayant échappé à la « psychiatrisation », alors que les médecins qu'il avait rencontrés à l’âge de 2-3ans lui auraient prévu un aller simple en hôpital psychiatrique. Né Julien Horiot, il a changé de prénom à 6 ans pour « tuer en lui le dictateur », ce qu’il a rapporté dans un essai autobiographique intitulé « L’empereur, c’est moi ».

Actuellement, Hugo Horiot poursuit sa carrière d’écrivain, en axant sa production littéraire sur la dénonciation des stigmatisations à l’égard de la différence cognitive ou de la pathologisation de la différence (« Autisme : j’accuse ! »). A ce titre, il est régulièrement consulté en tant qu’expert sur la question par les institutions européennes, mais n’a pas souhaité participer à l’élaboration du 4ème plan autisme, en raison de la présence du « lobby psychiatrique » et du « lobby médico-social ». De fait, Hugo Horiot demande explicitement que l’intégralité des fonds alloués à l'institutionnalisation des autistes en France soit réaffectée pour qu’enfin la France puisse exploiter (sic) ces intelligences divergentes.

Effectivement, durant toute l’émission, l’invité de Guillaume Erner a revendiqué la fermeture de toutes les institutions accueillant des personnes autistes, arguant du fait « qu’il n’a a pas de bonne institution », et qu’il faut donc libérer ces enfants retenus captifs entre les murs de structures cherchant à préserver une manne financière. Un seul mot d’ordre donc : l’inclusion et la scolarisation pour tous - l’école n’étant visiblement pas une institution et n’ayant pas non plus de murs…

Lorsque le journaliste questionnait son invité sur sa représentation de l’autisme, celui-ci présenta ‌‌des conceptions à la fois très vagues, et néanmoins assénées comme une vérité intangible. Dans une perspective historique, Hugo Horiot évoquait la découverte de l’autisme par Eugen Bleuler en 1911 – je rappellerais simplement que le psychiatre suisse utilisait alors ce néologisme pour décrire certains regroupements symptomatiques dans le cadre de sa description princeps de la schizophrénie ; il faudra effectivement attendre 1943 pour que Léo Kanner décrive le tableau clinique de l’autisme infantile précoce. Voici les caractéristiques de l’autisme que rapportaient Hugo Horiot : une association d’hyper et d’hyposensibilité et des intérêts restreints avec des pics de compétence très élevés dans certains domaines. En lien avec son propre parcours, Hugo Horiot a beaucoup insisté sur le fait qu’il n’y avait pas de retard de langage, mais une émergence différée de la parole. Toute évocation d’une éventuelle souffrance était aussitôt évacuée, et appréhendée uniquement comme la résultante d’une forme de racisme cognitif et d’un traitement ségrégatif imposé à cette population. Pour ce militant, les notions d’ « autisme sévère » ou d' « autisme léger »sont tout simplement inexactes et préjudiciables. Parlant de son propre vécu de l’autisme, Hugo Horiot évoquait, en toute modestie, ses capacités hors-normes, en termes de concentration, de capacités à faire des liens, ou de performances mnésiques.

[…]

Dès lors, on comprend qu’Hugo Horiot puisse comparer, sans frémir, la politique française à l’égard du handicap et de l’autisme aux programmes eugéniques du IIIe Reich….Lors de l’émission, le journaliste Guillaume Erner ne sembla d’ailleurs pas particulièrement choqué face à ce genre d’allégations, qu’il ne chercha pas à remettre en cause…Certes, notre système de santé a mis en place un dépistage anténatal facultatif de la trisomie 21, et l’éventualité d’une interruption thérapeutique de grossesse est proposée aux parents, en cas de diagnostic positif. Cela peut effectivement soulever certains questionnements éthiques. Néanmoins, il n’y a pas là de programme politique d’éradication, même si les structures d’accompagnement sont insuffisantes. De surcroit, la situation de l’autisme est absolument incomparable, compte-tenu non seulement des enjeux génétiques spécifiques que nous aborderons ultérieurement mais aussi des aspects proprement cliniques.

En entendant ce type de propagande, à une heure de grande écoute, sur une radio publique, sans qu’aucun contradicteur sérieux ne puisse opposer certains éléments de réalité, j’étais assez abasourdi.

En tout cas, en s’en tenant strictement au contenu discursif de cet entretien, un certain nombre de réflexions à l’emporte-pièce– et d’affects- ont pu m’envahir. En toute humilité, je souhaiterais pouvoir partager ces ressentis, même s’ils ne sont pas politiquement corrects. Par ailleurs, il m’a semblé important de pouvoir développer certains points effleurés à la hussarde, afin de ramener des faits, au-delà de revendications militantes hors-sol et déconnectées des enjeux de réalité.

Pourquoi Guillaume Erner n’a-t-il pas fait son travail de journaliste, en adhérant de plain-pied à des propos idéologiques ? Pourquoi aucun soignant prenant en charge au quotidien des enfants autistes n’a-t-il été convié sur l’antenne de France Culture, de façon à pouvoir éventuellement faire entendre des points de vue complémentaires, divergents, voire contradictoires ? Car il faut savoir que la deuxième partie de l’émission était consacrée au film « Hors-normes » d'Eric Toledano et Olivier Nakache, constituant d’après Hugo Horiot une « peinture très crue de la dérive institutionnelle dans la prise en charge de l'autisme, à laquelle nous sommes confrontés en France depuis les années 60 ». Ce long métrage montrerait donc que, « même avec des associations qui leur viennent en aide, et donc avec des personnes de bonne volonté qui sont là pour palier une déficience de notre éducation nationale » - contrairement aux soignants qui sont surement mal intentionnés – « on tombe dans une impasse, liée à une forte exclusion sociale de ces profils ».

Je formule une hypothèse : le journaliste des matins de France Culture était pétrifié, car il craignait d’être accusé, d’une façon ou d’une autre, d’intolérance voire d’ « autismophobie » - mais peut-être que, tout simplement, Guillaume Erner pense qu’il existe des similitudes effectives entre la politique nazie d’épuration des handicapés et notre contexte français contemporain…

Voilà le fond de ma pensée : ne pas s’autoriser à contredire un interlocuteur, parce qu’il serait autiste, ou juif, ou homosexuel, ou victime de toute forme d’oppression ou de stigmatisation, consisterait à adopter une posture paternaliste et condescendante, proche d’une forme de racisme en négatif. A partir du moment où l’on reconnait l’entière responsabilité discursive de la personne avec laquelle on interagit, il convient effectivement de s’autoriser à exercer son esprit critique, au nom justement du refus de toute discrimination. Evidemment, les choses seraient un peu différentes avec une personne appréhendée comme partiellement irresponsable, comme un enfant ou un individu présentant une déficience mentale ; dans cette situation, un devoir de réserve s’imposerait de soi.

[…]

Mr Horiot nous prouve d’ailleurs qu’on peut se revendiquer autiste, tout en n’exprimant aucune plainte fonctionnelle, et en mettant surtout en avant des surcapacités. Et, si l’on veut être tout à fait honnête, en l’écoutant sur France Culture, j’étais surtout exaspéré par une certaine dimension narcissique dans la présentation de sa personne, par ce qui m’apparaissait comme une fausseté du raisonnement, et par des tendances sensitives exacerbées. Il parait évident qu'une personne « autiste » qui ne présenterait aucune trouble dans sa vie sociale et le déploiement de son autonomie n'aura absolument pas besoin d’accompagnement ni de soins. Cependant, il devra se confronter au médecin dans le cadre du diagnostic. Mais alors, pourquoi vouloir diagnostiquer dans ce cas ? Pourquoi revendiquer ce statut plutôt que celui de sujet singulier, avec ses particularités de fonctionnement, ses qualités, ses compétences, ses fragilités et ses défauts ? Quel est le sens de cette recherche de catégorisation nosographique ?

Il ne s’agit pas de nier la neurodiversité, au contraire. Chaque personne est absolument singulière, et cette singularité s’inscrit à l’évidence dans les particularités de son fonctionnement cérébral. Certains sont peut-être plus différents que d’autres, et tant mieux. Mais convient-il subséquemment d’essentialiser cette « différence », et secondairement imposer à tous ceux qui seraient catégorisés de la sorte une façon univoque de vivre son « autisme » ?

Il faut dire que, pour la plupart des autistes militants de la neurodiversité, la reconnaissance de leur statut d'opprimé leur apporte une certaine reconnaissance médiatique, la certitude d'être appréhendé en tant que victime racisée subissant un authentique préjudice social, le bénéfice d’une posture héroïque de justicier à peu de frais, une certaine intouchabilité (qui prendrait le risque d'être taxé d'autistophobe?), voire un véritable fonds de commerce.

Joseph Schovanec, évoquant le triste destin des militants dans l’autisme, rappelle d’ailleurs les dérives de certains, « fascinés par l'argent, le pouvoir et leur nouveau statut social » et le fait que « désormais les autistes militants se haïssent entre eux avec la constitution de clans qui n'ont d'autre objet que de détruire ou évincer l'autre ». Les autistes seraient-ils donc des êtres humains comme les autres, happés par les mêmes passions tristes, la même volonté de puissance, et les mêmes enjeux narcissiques que les « neurotypiques » ?

On peut penser en tout cas que certains militants de la cause autiste sont mus par une animosité assez débordante, voire par une haine authentique, à l’égard du soin au sens large. En témoignent ces quelques citations extraites du blog tenu par Hugo Horiot sur Mediapart.

« La psychanalyse, c’est comme une partouze. Elle doit se pratiquer entre adultes consentants, sinon ça devient dangereux. Pour l’enfance en général et les enfants autistes en particulier, les théories d’inspiration psychanalytique mènent à des dérives tragiques et fatales : packing, placements abusifs, psychiatrisation, culpabilisation des parents… ».

A nouveau, des accusations qui mobilisent des fantasmes très crus, sans jamais prendre en compte la réalité des pratiques…Toujours les mêmes ritournelles, méprisantes à l’égard tant des soignants que des patients pris en charge.

« Il s’agit également de réaffecter l’orgie de moyens, 3 milliards d’euros annuels alloués aux Hôpitaux de jour (source Ministère de la santé) pour tenir enfermés 10 000 enfants, vers des établissements médicaux sociaux adaptés mais surtout vers l’école de la République ».

Les hospitaliers mobilisés afin d’obtenir des moyens adaptés pour garantir des soins décents apprécieront – ainsi d’ailleurs que les enseignants… Le véritable scandale actuel ne serait donc pas la proportion affligeante d’enfants laissés sans prise en charge, ou mal accompagnés, avec un impact tout à fait préjudiciable pour leur devenir, mais le gâchis induit par les dépenses publiques en faveur des institutions thérapeutiques….Affirmer un autre point de vue ne serait qu’esbroufe, manipulation et mensonge car, pour Hugo Horiot, « ce type d’affirmation vise à maintenir un mythe, une croyance pour préserver un juteux marché, au mieux de l’assistanat et au pire de l’exclusion, financé par de l’argent public ». Bigre… « Les autistes ne souffrent pas d’autisme. L’autisme souffre de l’ignorance des uns et de l’opportunisme mercantile des autres ». Mais bien sûr ! Il fallait y penser : tous ces enfants sans langage, enfermés dans leurs stéréotypies, pouvant se mettre en danger du fait de l’intensité de leurs comportements auto-agressifs et présentant des crises d’angoisse massives au moindre changement dans leur environnement, ne bénéficient de soins institutionnels que pour enrichir les soignants du service public. Quel aveuglement : « un autiste visible et non verbal sera considéré comme déficient mental alors qu’il s’agira souvent d’une déficience sociale engendrant une apparente déficience mentale ». Pourquoi donc passons-nous à côté de ses potentiels exceptionnels, à exploiter et à valoriser comme un réservoir de compétences hors normes ? Soyons utilitaristes avant d’être humanistes, sinon « notre pays ne sortira jamais du communautarisme, de l’assistanat de masse et du chômage ». Le vieil adage socialiste « De chacun selon ses moyens, à chacun selon ses besoins », doit effectivement être battu en brèche selon notre apôtre de la justice social : il faut avant tout exploiter, tirer profit, avec pragmatisme. Et, de surcroit, la fermeture des tous ces établissements ségrégatifs voire maltraitants et l’entrée des autistes sur le marché concurrentiel du travail résoudra les problèmes sociaux de chômage, d’endettement public, d’inégalités sociales, de discrimination, de performance et de compétitivité ! A bon entendeur…

Il ne sera pas inutile de revenir sur certaines de ces allégations à l’occasion d’un prochain billet, pour ramener un peu de réalité au sein de ce déluge d’acrimonie délirante….

Ce qui parait en tout cas particulièrement problématique, c’est le relais médiatique dont bénéficie cet « expert » et l’influence qu’il revendique pouvoir exercer, notamment auprès des instances européennes. […]

Il est ainsi intéressant de constater à quel point ces discours peuvent infuser insidieusement dans les représentations collectives, du fait notamment de leur omniprésence médiatique.

Dans cette optique, revenons donc sur le film « Hors-normes » d'Eric Toledano et Olivier Nakache, auquel la deuxième partie de la matinale de France Culture était consacrée. Ce long métrage présente le travail associatif d’éducateurs accompagnant des personnes autistes insuffisamment prises en charge par ailleurs. Le projet de montrer à l’écran ces situations complexes et douloureuses parait en soi tout à fait louable, même si les écueils sont nombreux (caricature, instrumentalisation idéologique, narration positive évacuant les aspects réellement problématiques, etc.). Stéphane Benhamou, le fondateur de l’association le Silence des Justes, campé à l’écran par Vincent Cassel, s’exprime ainsi concernant son action : « Nous avons comblé les manques, nous nous sommes infiltrés dans les interstices du système pour pallier les carences d’un pouvoir politique qui accorde trop peu de moyens ». D’emblée, nous nous situons donc dans une forme de dénonciation de l’insuffisances actuelle des dispositifs mis en œuvre, ce qui parait indubitablement légitime. Cependant, le « modèle » proposé devrait nous interpeller : en effet, il s’agit manifestement de promouvoir des initiatives individuelles, menées par des personnes qui, indépendamment de leur bonne volonté, n’ont aucune formation. Au-delà des bons sentiments, on sait bien que de telles modalités d’intervention peuvent être très périlleuses, avec notamment un risque non négligeable de négligences, de préjudice en termes de pronostic, voire de maltraitance…Il parait évident que la compétence intrinsèque des intervenants, leur personnalité, leur motivation et leur implication constituent des éléments déterminants dans la qualité d’un accompagnement – et le film souligne d’ailleurs à juste titre l’importance du facteur humain et de l’investissement relationnel. Cependant, c’est une condition qui peut être nécessaire, mais surement pas suffisante ; certaines aptitudes ne s’improvisent pas et nécessitent un apprentissage rigoureux, tant sur le plan pratique que théorique, une supervision par des tiers, etc. De surcroit, le travail thérapeutique suppose toujours une forme d’organisation institutionnelle, des références collectives, des normes éthiques, des abords pluridisciplinaires, des évaluations de pratique… […]

J’étais donc un peu atterré à l’écoute de cette émission de France Culture, qui consistait finalement à valider des discours superficiels, caricaturaux et réducteurs, en adhérant de plain-pied avec l’air du temps. Car, au-delà de la dénonciation militante, de la bien pensance et des bons sentiments, il convient sans doute de saisir ce que ce type de discours cherche à ébranler, inlassablement.

[…]

Moi aussi, je suis atterrée.


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